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Épisode 15

  • JF
  • 10 avr.
  • 4 min de lecture
14 juillet et le « Rocher de l’Aveyron »
14 juillet et le « Rocher de l’Aveyron »

Parmi les évènements marquants chaque année dans le village, la Fête Nationale du 14 juillet était celle qui réunissait, surtout après la fin de cette guerre maudite qui avait vu mourir tant d’hommes, la plus grande foule joyeuse et bigarrée.

 

Après la cérémonie au monument aux morts, en présence du maire, du conseil municipal au grand complet, des enfants des écoles, maitres et maitresses en tête, des anciens combattants des deux guerres, tous drapeaux déployés, et d’une grande partie des habitants du village, un cortège se mettait en place.

Fanfare en tête, cuivres et tous instruments rutilants, suivaient dans l’ordre les anciens combattants et leurs drapeaux, puis deux équipes de jouteurs, bérets, ceintures larges et espadrilles rouges et bleues, chemises et pantalons blancs, lances sur l’épaule droite pour les joueurs et rames également sur l’épaule droite pour les rameurs, les deux barreurs précédant le groupe.

Cet impressionnant défilé, suivi par une foule endimanchée et en un joyeux désordre, au rythme des tambours et de musiques martiales souvent d’une justesse approximative mais jouées de grand cœur, se dirigeait, pas toujours très au pas, vers les rives du Lot, au pied de l’immeuble où nous habitions, en empruntant la route départementale et en contournant les murs de clôture de l’usine.

 

Tout le long de la route, contre les murs de l’usine, de petites boutiques sommaires s’étaient installées, vendant sucreries, barbe-à-papa, pommes d’amour, sandwichs et autres babioles à quatre sous, tentantes pour petits et grands.

 

Tout ce monde s’installait tant bien que mal sur la rive en pente pour attendre ce grand spectacle qu’étaient les joutes intercommunales.

De l’autre côté du Lot, la rive était également noire d’une foule, venue des villages environnants et dont des représentants figuraient au nombre des jouteurs.

 

Sur les bords de la rivière attendaient deux grandes barques, une rouge et une bleue, avec huit postes de rames, un siège de barreur et une grande plateforme à l’arrière, la quintaine, en pente vers l’avant d’environ quinze pour cent et susceptible de recevoir une équipe de six jouteurs dont un en position de combat.

 

Rameurs, barreurs et jouteurs ayant pris place sur les barques, ces dernières gagnaient le milieu de la rivière en s’éloignant à environ une centaine de mètres l’une de l’autre et, après avoir fait demi-tour, s’élançaient l’une vers l’autre jusqu’à se croiser par la droite.

Le rythme d’un tambour cadençant les coups de rames et les deux barques arrivées à une dizaine de mètres l’une de l’autre les rameurs levaient leurs rames à l’horizontale le long de la coque, le tambour cessait de battre et les notes aigües d’une trompette donnaient le signal de l’affrontement.

Les deux jouteurs combattants, en position de grand écart, le pied droit calé contre le rebord arrière de la plateforme, lance pointée à l’horizontale vers le plastron carré tenu par le bras gauche replié de l’adversaire, se heurtaient à pleine vitesse, l’un des jouteurs déséquilibré, parfois même les deux plongeaient dans la rivière, sous les hurlements et les vivats de la foule des supporters du vainqueur resté sur la plateforme.

 

Deux autres jouteurs se préparaient au combat et un nouvel affrontement avait lieu dans les mêmes conditions et jusqu’à ce que chaque équipe des six jouteurs ait combattu.

Les bateaux revenus sur la rive, deux autres équipes prenaient place, et ainsi de suite jusqu’à épuisement du nombre d’équipes.

 

La première manche ainsi terminée, les vainqueurs reprenaient place sur les plateformes pour de nouveaux affrontements jusqu’à la finale opposant les deux derniers combattants qui n’étaient pas encore tombés à l’eau.

 

C’était grandiose et passionnant. Ce n’était toutefois pas sans danger, les lances cassant parfois et les embouts de ferraille dentelés, pour mordre sans glisser dans les plastrons en bois de l’adversaire, pouvant causer des blessures quelquefois graves.

Une ambulance était toujours présente pour pallier à toute éventualité et soigner si nécessaire ces gladiateurs modernes.

Elle était aussi très utile pour soigner les nombreux cas d’insolation.

 

Les vainqueurs étaient adulés par la foule et portés en triomphe en fin de combat.

Certains étaient des habitués de ces joutes et revenaient chaque année remettre leur titre en jeu. Ils avaient tous des surnoms évoquant leurs exploits et leur statut de champion.

 

Je me souviens tout particulièrement de l’un d’entre eux.

Employé de l’usine et pesant probablement plus d’une centaine de kilos, certainement plus de muscles que de graisse, il était pratiquement impossible de parvenir à l’éjecter de la plateforme.

Chaque année, tous les combattants redoutaient d’avoir à l’affronter et très rares étaient ceux qui pouvaient se vanter de l’avoir fait tomber.

Il était devenu une gloire locale et portait fièrement le surnom de « Rocher de l’Aveyron ».

C’était au demeurant un gars très sympathique, comme le sont souvent ceux que l’on qualifie de « gros ».

Je crois me souvenir qu’il se nommait Gallaret et, comme c’est souvent le cas chez ces imposantes personnes, il adorait les enfants et tous l’aimaient beaucoup.

 

Un cortège de bambins rieurs l’accompagnait à chacun de ses passages dans la cité, d’autant plus qu’il avait toujours au fond de ses poches quelques bonbons à distribuer.

Je crois avoir appris depuis qu’à sa grande tristesse, il n’avait pas d’enfant. Ceci explique probablement cela.


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