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Épisode 11

  • JF
  • 7 mars
  • 3 min de lecture
L'usine, extraordinaire terrain de jeux
L'usine, extraordinaire terrain de jeux

Toute usine de fabrication de verre à vitre utilise obligatoirement les services d’une caisserie, là où des menuisiers, généralement peu qualifiés, fabriquent sur mesure les caisses ou chevalets destinés à recevoir les feuilles de verre avant leur transport.

 

Notre caisserie stockait ses réserves de planches de bois sur un vaste espace, partiellement couvert et situé le long du bâtiment administratif dont nous occupions le dernier étage.

Au rez-de-chaussée, au pied de la cage d’escalier qui desservait les divers niveaux de l’immeuble, un couloir traversant permettait, soit de sortir côté extérieur, soit d’accéder dans l’usine, justement dans cette zone de stockage du bois.

 

Le personnel ne venait sur les lieux que pour les approvisionnements matinaux de l’atelier de menuiserie, une ou deux fois par mois, pour renouveler les stocks et combler les vides laissés par les ponctions quotidiennes de l’atelier.

Le reste du temps, nous étions, mon frère et moi, relativement tranquilles. Jean-Pierre, qui avait à peine trois ans, suivait le « petit chef » que j’étais comme son ombre.

 

Nous avions soigneusement observé les méthodes de stockage utilisées par les ouvriers lors des livraisons de planches.

Sur une série de briques posées à plat et qui servaient de plots de fondations, un premier réseau de planches était disposé en carré.

Sur ce premier réseau, perpendiculairement aux planches qui le constituaient, un platelage de planches jointives était placé pour former une base en forme de plancher carré.

Une couche complémentaire venait alors, perpendiculairement à la précédente, et ainsi de suite pour atteindre des hauteurs qui nous semblaient vertigineuses mais qui dépassaient rarement trois mètres.

 

Sur ce modèle donc, dans un coin un peu à l’écart, après avoir soigneusement dégagé l’espace nécessaire, nous débutions notre propre édifice.

C’était absolument épuisant, chaque planche de résineux, souvent peu sec, pesait un poids respectable pour nos petits bras pas très musclés.

Mais nous étions ravis de pouvoir, petit à petit, dominer le monde du haut du plancher supérieur que nous ne pouvions que très difficilement et aux prix d’efforts surhumains élever au-delà d’un bon mètre.

Malheureusement, les ouvriers faisaient peu de différence entre notre construction et les constructions voisines, aussi nous arrivait-il fréquemment de retrouver notre superbe édifice bâti à grand peine et abandonné le soir, démoli partiellement ou entièrement par l’équipe d’approvisionnement du matin pour les besoins de la menuiserie.

Et c’est sans nous décourager que nous rebâtissions, avec chaque fois la ferme volonté d’aller un peu plus haut que la fois précédente.

 

C’est peut-être à ces constructions éphémères que je dois cette vocation d’architecte, venue quelques vingt ans plus tard.

 

Un autre attrait de cette réserve de bois résidait en la présence, tout prèt de l’atelier de menuiserie, d’un tas de chutes d’une infinité de dimensions, destinées à finir dans une chaudière et dont nous subtilisions de pleines brassées pour notre usage personnel.

A l’aide d’un marteau pris dans l’outillage paternel et de quelques clous récupérés un peu partout, nous construisions une foule d’engins plus ou moins difformes et conçus au gré de notre imagination, mais auxquels, certainement, les jouets de plastique de maintenant n’auraient rien eu à envier.

 

L’année de mes sept ans, ce fameux Père-Noël auquel j’avais de plus en plus de mal à croire m’avait apporté une boite de Mécano pour débutants.

Il est difficile d’imaginer la quantité d’ouvrages que j’ai pu réaliser avec un si petit nombre de pièces, de vis et de boulons, tout ceci avec l’aide de papa, au début, puis seul ensuite.  

 

Parmi toutes ces merveilles, j’avais réussi à construire une grue, avec poulie en bout de flèche et manivelle dont l’axe, garni de laine donnée par maman, avait une longueur suffisante pour franchir les trois niveaux de l’immeuble en empruntant le vide central de la cage d’escalier.

Jean-Pierre dans le couloir du rez-de-chaussée et moi sur le palier du dernier étage avons passé des journées entières à remonter, grâce à cette fameuse grue, des kilos de ces chutes de bois récupérées dans notre petite réserve.

Véhiculés par mon charriot à bœufs, ces transports de bois finissaient dans la cuisine où, pour le plus grand plaisir de maman, ils servaient de buchettes pour allumer le feu de la cuisinière.

 

Avec les plus gros morceaux que nous récupérions, liteaux ou planches, nous avions également entrepris la construction d’une petite cabane, dans un coin reculé et discret, contre le mur de clôture de l’usine.

 

Nous avons passé des heures à bâtir cet abri et bien davantage d’heures encore à y jouer, lire, manger les tartines de nos gouters, avec un incomparable sentiment d’isolement, de tranquillité et de sécurité que je n’ai jamais pu retrouver depuis.




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